“LES PETITES FILLES SONT DES PUNKS QUI REVIENNENT DÉGUISÉES EN HAMSTER”
Ce matin en ouvrant Facebook, je suis tombée sur le post assourdissant d’un homme d’un certain âge avec qui je n’interagis jamais. Je l’ai donc supprimé de mes contacts dans la foulée, après avoir fait une copie d’écran de son abominable texte.
J’ai commencé ma journée sonnée et en colère. Et je me mets rarement en colère…
BIEN SÛR que je salue le combat de Judith Godrèche et je ne parle pas seulement de son discours à la fois très clair et très calme lors des César vendredi dernier. Je parle de la mission dont elle s’est investi plus ou moins malgré elle depuis son « retour médiatique » et la promotion de sa fiction « Icon of French cinema » en France. J’étais en larmes devant son discours qui a fait remonter tellement d’agressions tues ou minorées... Et oui je suis très fière qu’elle continue de forcer la brèche ouverte par d’autres femmes courageuses avant elles, qui n’ont plus envie de se taire.
La « cause de Madame Godrèche » devrait devenir NOTRE CAUSE À TOUS. Je ne connais pas une femme qui n’ait jamais été agressée ! Je parle d’agressions RÉELLES, pas de sifflements dans la rue, aussi déplacés soient-ils.
Je parle des agressions qui nous blessent l’âme, qui nous marquent un certain temps ou qui parfois laissent des traces indélébiles.
COMMENT CERTAINES PERSONNES, HOMMES ET FEMMES, SONT-ELLES ENCORE AUSSI ÉLOIGNÉES DE LA RÉALITÉ ??
Je suis tellement triste qu’on doive encore se justifier (ce que je ne fais plus d’ailleurs), auprès d’êtres humains qui n’ont aucune forme d’empathie, aucune mesure, aucune nuance et qui ne font preuve d’aucune remise en question… Juste parce que “tout ça” ne fait pas partie de leur quotidien.
Une « anecdote » m’est revenue récemment, 21 ans après les faits, sans doute grâce à une nouvelle thérapie entamée il y a un an et qui semble commencer à produire ses effets. Souvent dans ma vie d’adulte, j’ai fortement regretté de ne pas avoir persévéré dans la voie de l’écriture en découvrant le scénario de certains films. C’est ça qui me faisait vibrer depuis l’enfance, écrire. À mes 16 ans, mes premiers concours de nouvelles gagnés et mon BAC de français en poche, je voulais me diriger vers l’écriture pour le cinéma et la télévision. A 18 ans j’avais écrit un premier scénario de téléfilm, une ébauche de roman, un recueil de nouvelles et après 4 années d’études de Lettres Modernes à l’Université j’envisageais sérieusement de partir en thèse en section « audiovisuel » dans une école reconnue.
POURQUOI ne suis-je pas allée au bout des choses ?
Parce qu’un soir de 2003, alors qu’on se rendait avec des amis voir la Palme d’Or « Elephant » de Gus Van Sant, un homme que je connaissais m’a reconnue dans la file d’attente et s’est « incrusté » dans notre petit groupe. Un homme bien plus âgé que moi que je croisais brièvement lors d’événements, une personne érudite et influente dont j’admirais la carrière et la culture.
Il s’est assis directement à ma droite ; j’aurais préféré une copine à côté de moi mais il ne lui a pas laissé le choix.
J’ai mis un certain temps à réaliser qu’il caressait ma cuisse pendant le film. J’ai mis de longues minutes à bien me rendre compte que ce « frottement » n’était pas le hasard de ses doigts proches de ma jupe, mais qu’il « grattait » consciemment la dentelle de mon bas sous la jupe, dont il devait sentir la couture.
J’étais sidérée. « Je dois rêver, pas lui, pitié, pas lui… »
Impossible de me concentrer sur le film.
J’essayais de me décaler sur la gauche le plus possible mais l’accoudoir limitait ma fuite. Plus je glissais à gauche vers ma copine, plus son bras se tendait. C’était peine perdue.
Je n’ai pas osé partir, j’aurais du bien-sûr puisque de toute façon je ne suivais plus le film. J’aurais dû le fuir et faire un SMS à mes amies pour leur expliquer pourquoi j’avais dû quitter la projection.
Mais impossible de bouger.
Cet homme était très influent dans cette académie où je rêvais d’aller étudier. Alors j’ai renoncé. Après quelques visions horribles de ce que pourrait être la promotion canapé dans l’établissement, je me suis empêchée toute seule, comme une grande, de persévérer dans la voie qui me passionnait depuis gamine.
21 ans plus tard, sans avoir jamais évoqué cette histoire depuis, tout m’est revenu, un soir alors que je délectais devant un film à l’excellent scénario… Pourtant ce n’était ni la première, ni la dernière fois qu’un homme posait ses mains sur moi sans y avoir été invité.
Ce type a brisé MON rêve et ça fait 21 ans que JE me sens coupable. Étrange, non ?
Emmanuelle Choussy -